Quantcast
Channel: Sur le Zinc BIS
Viewing all articles
Browse latest Browse all 104

Pierre Richard à Clichy-sous-Bois

$
0
0

Juillet 1992

Après trois longues années laborieuses passées en Arabie Saoudite, j'atterris enfin sur le sol de France. Mon pays est beau aujourd'hui.  Tout me met en joie : le sourire des hôtesses, la liberté de parole entre les membres de l'équipage, puis l'amabilité de l'accueil au bureau des locations de voitures.

Avant de regagner la Normandie, j'ai un colis à déposer à Clichy dans la famille d'une collègue de travail.

Clichy-sous-Bois. Le square, la mairie et sa pelouse, son parking ombragé, ses immeubles bien alignés. Je reconnais immédiatement les trois grandes tours blanches dessinées au crayon sur un morceau de papier que je garde à portée de main.

Il fait chaud. Vitres ouvertes, cheveux au vent, je conduis doucement en chantant à tue tête l'Hymne à la Joie de la symphonie n°9 de Beethoven, persuadé, comme Schiller, que « tous les hommes serons frères ».

Au feu rouge, une quinzaine de gaillards à l'oeil sombre, portant la panoplie complète du parfait rappeur de Harlem, entourent mon véhicule. L'un d'eux appuie négligemment son coude sur le rebord de ma portière, tandis qu'un autre passe sa main dans ma chevelure, gonflée par la ventilation excessive de l'habitacle.

      -Vous avez vu, crie une voix rocailleuse, Pierre Richard vient nous rendre visite ! Le grand blond avec une chaussure noire ! Ca alors !

  Pierre Richard

Au moment où, pressé de démarrer, j'appuie fermement sur l'accélérateur, ma pédale dégage un vrombissement infernal de moteur qui tourne dans le vide.

En même temps, horreur, je me sens littéralement soulevé de terre par quarante bras maléfiques.

Au bout de quelques secondes, mes bourreaux consentent à reposer mes roues sur l'asphalte.

Aussitôt je file comme une flèche sur le boulevard.

Parvenu devant l'immeuble, je prends soin de garer ma voiture à proximité des commerces.

Au pas de charge, je dépose le colis.

Pas le temps de parler de la pluie et du beau temps chez le destinataire.

  The-jeunes-de-banlieue-and-me-L-bMitb6

Depuis lors, je porte en moi cette humiliation gratuite, d'autant plus stupide qu'à l'époque un élan humanitaire d'adolescent me poussait sans retenue vers les populations en quête de reconnaissance.

En 1992 les banlieues ne s'étaient pas encore embrasées. Je souhaite bien du courage aux responsables politiques de tous bords pour contenir le feu qui couve dans les cages d'escalier et faire plaisir à cette jeunesse à la dérive.

     JAC, le 9 février 2014


Viewing all articles
Browse latest Browse all 104

Latest Images

Trending Articles





Latest Images